Romance historique française — Normandie — 1ère édition janvier 2021 — Disponible en numérique et poche.

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  • Tu l’as lu ?
  • Paroles de lecteurs
  • Mon petit mot
  • Prologue
Le diable de Falaise Anna Lyra romance historique

Résumé

Falaise, Normandie, 1026

Par tous les feux de l’enfer  ! Ni nonne ni pucelle, Norine entend juste que son père, l’ancien maître tanneur Fulbert, cesse de la seriner au sujet d’épousailles. Elle a aimé un homme. Robin, l’écuyer du duc de Normandie. Ou devrait-elle plutôt le nommer Robert, le diable de Falaise, le cavalier de l’Apocalypse, le traître qui a ravi son innocence, son cœur et sa confiance… pillé son bonheur. Robert –  frère parjure de l’héritier légitime Richard III  –, félon dont la folie coûtera au castel et à ses villageois des jours bien obscurs.

Tu l’as lu ?

Si toi aussi tu as lu ce roman, n’hésite pas à laisser ton avis sur Amazon – ainsi que sur les plateformes de lecture (de type Babelio, Livraddict, etc.) si le cœur t’en dit ! C’est ton avis qui oriente les futurs lecteurs et lectrices, et qui contribue à faire connaître le roman. D’avance, je t’en remercie !

Paroles de lecteurs

J’ai dévoré cette romance médiévale, très renseignée historiquement, ponctuée de mots et expressions en ancien français, pleine de rebondissements. Un véritable plaisir, une lecture palpitante et très addictive que je recommande vivement. Une ode au féminisme et à la liberté dans la Normandie médiévale.

Éliane

Chaque prochain roman d’Anna Lyra est pour moi un évènement. J’adore absolument sa plume et surtout l’énergie qu’elle met dans chaque récit à nous offrir une histoire de qualité. Vous savez, il y a de ces auteurs dont on achète chaque publications les yeux fermés en sachant pertinemment que, quoiqu’il arrive, jamais ils ne pourront nous décevoir.

Anna Lyra a fait un travail remarquable de reconstruction historique pour cette « romance ». Tout ce qu’elle écrit s’est, approximativement, bel et bien passé. C’est un culot, une prise de risque que je salue et applaudis bien fort ! Lire une histoire d’amour et se payer le luxe d’un passionnant cours d’histoire en prime… Bravo Anna Lyra !

J’ai kiffé ma life avec ce roman, et ce, du début jusqu’à la toute fin. Les descriptions, la vie à Falaise est si bien amenée que j’avais cette impression folle d’y être.

Norine, pour cette époque, peut être un personnage atypique, une cheffe d’entreprise avant l’heure, et pourtant, il n’y a aucun anachronisme dans ce récit. Au contraire. C’est très bien pensé. Sa romance avec Robert est belle, douce… courtoise et scellera leur destin à tous les deux. Pourtant, elle n’empiète pas sur l’autre intrigue que je trouve tout aussi importante : la guerre de Robert contre son frère Richard III. Tout est bien dosé pour que les deux s’harmonisent et nous donnent une histoire riche, cohérente et incroyablement passionnante à lire, et ce, jusqu’à la toute fin. À ce propos, la fin aura de quoi surprendre les lectrices romantiques, mais… je l’ai trouvé si… actuelle, si… féministe, dans un sens.

Finalement, Le Diable de Falaise est plus qu’une simple romance historique, c’est un beau roman historique féminin qui m’a ravi du début jusqu’à la fin. C’est absolument bien écrit et addictif. Voici un récit qui donne un éclat lumineux à la collection Aliénor et qui mérite de ne pas être oublié.

Merci, Anna Lyra pour cette belle et passionnante lecture !

Artemissia – Songe d’une Nuit d’été

Anna Lyra signe une sublime romance historique. Des personnages totalement ordinaires au cœur d’un décor strict où les mœurs prévalaient sur toutes les raisons du cœur… Un contexte historique époustouflant. Une multitude de détails, que ce soit sur les us et coutumes, l’habillement, le langage, les décors, je me suis régalée. Un véritable contexte historique. Bien évidemment on y retrouve de l’action, des rebondissements, de la passion et de l’amour ! Tirée d’une histoire réelle, Anna Lyra explore cette époque avec une incroyable facilité. Elle maîtrise à la perfection son histoire et son scénario nous offrant une romance addictive et magnifique.

Esméralda – Les Miss Chocolatine bouquinent

Si vous cherchez une palpitante lecture riche en rebondissements se déroulant à l’époque médiévale à travers un époustouflant décor qui vous happe dès les premières pages, qui vous tienne en haleine jusqu’à la toute dernière, qui vous plonge dans un maelström d’émotions vives et qui vous ébranle à tous les niveaux… Alors laissez-vous tenter par ce bouleversant récit d’une beauté brute.

Mon Paradis des Livres

Bien plus qu’une romance… Une histoire passionnante qui possède un niveau de détails sur la vie de l’époque assez impressionnant. On sent tout le travail de recherche effectué pour rendre encore plus réaliste l’histoire. La romance en est d’autant plus passionnante à suivre !

Estrella

Mon petit mot

En écrivant ce roman, j’ai vraiment lâché la bride à mon inspiration… Je suis restée fidèle aux codes de la romance, bien entendu, mais en privilégiant au maximum l’immersion dans la Normandie du XIème siècle. Mon but était de te proposer un voyage dépaysant, une excursion médiévale qui te donnerait de l’évasion et ferait revivre, pour toi, un épisode romanesque de l’histoire normande.

Je suis très touchée des retours sur ce roman, car je craignais un peu de faire trop historique… Et vous aimez ! Rien ne pouvait me rendre plus heureuse que vos commentaires et vos messages après lecture du Diable de Falaise. Merci !

Prologue

Fécamp, 22 août de l’an 1026.

Nerveux, Robert envoya le battant de la porte claquer contre le mur de pierres grises. Le courant d’air fit vaciller la flamme des belles chandelles de cire qui, nombreuses et fumantes, baignaient l’antichambre d’une lueur cuivrée.

Il y avait bien longtemps que Robert n’avait pénétré dans ce logis, véritable cœur du pouvoir familial sur le duché de Normandie.

De tous les bâtiments du castel1 de Fécamp, seules cette pièce et la suivante, dévolues au seigneur, dataient encore de Guillaume Longue-Épée2. Le glorieux ancêtre de leur lignée avait établi sa résidence ici, dans la tour d’une antique fortification romaine qu’il avait rebâtie, surélevée, entourée de remparts de bois.

Le duc Richard3, le père de Robert, avait modernisé de nombreuses parties de cette ancienne résidence, cependant il s’était abstenu de rien toucher à la chambre, ni à l’antichambre. Robert le savait. Dans l’histoire de leur famille, Guillaume Longue-Épée faisait office de héros fondateur, plus encore que Rollon, lequel était resté davantage pillard danois que châtelain normand.

La pièce, triangulaire, au plafond de bois sombre à caissons, était modestement meublée. Un vieux coffre presque entièrement ferré, aux multiples cicatrices laissées par de nombreux voyages, un long banc de chêne massif installé face à l’âtre, ainsi qu’un siège curule4 garni d’un coussin de plumes, dont la laine cramoisie conservait l’empreinte vague de plusieurs dignes seigneurs qui avaient pris place céans.

Robert s’approcha lentement de la cheminée.

La hotte, vierge de tout décor, était si polie par les ans qu’elle paraissait de marbre. Il caressa la pierre douce et glacée d’un geste possessif, rapidement, comme pour trouver un semblant de réconfort dans un geste qu’il avait si souvent vu accompli par son père, le duc Richard.

Assez de nostalgiques évocations !

Son devoir filial passait avant tout. En se retournant avec brusquerie, Robert découvrit un jeune page courbé en une maladroite révérence.

— Messire…

Robert traversa la pièce en trois enjambées mais le page lui barra le chemin. Dans son regard pouvaient se lire une vive terreur, de s’opposer ainsi au fils de son seigneur, mais également une grande détermination.

— Nenni, Messire, on m’a demandé de ne laisser entrer personne.

— Je n’ai que faire des ordonnances d’un moine-guérisseur ! Je dois voir mon père au plus tôt.

— Messire, de grâce !

Sans écouter davantage le pauvre garçon dévoré de peur, Robert ouvrit la porte de la chambre et demeura figé un instant sur le seuil.

Au chevet du malade, fondu dans les ombres avec sa triste dalmatique brune5, se tenait, non pas un bénédictin-herboriste de l’abbaye de Fécamp, comme il s’y attendait, mais l’évêque Radbod en personne.

— Que signifie ? lâcha Robert en foudroyant du regard l’homme d’Église. Où se trouve le guérisseur ?

— L’état du duc Richard, Messire, nécessitait davantage mon intervention que celle d’un moine armé de quelques décoctions.

— On m’a averti qu’il était souffrant, et point mourant.

— La maladie progresse parfois avec une rapidité contre laquelle nous sommes impuissants… Elle exprime, alors, la volonté de Dieu de rappeler à Lui Sa créature. Nous étions en pleine confession, Messire Robert, aussi, je vous prie de nous laisser achever cette tâche capitale pour le salut de l’âme du seigneur votre père.

Ils s’affrontèrent un instant en silence.

Le jeune fils du duc Richard, vêtu d’une cotte de cuir durci par les pluies et blanchi par la sueur, tout en fougue et empressement, regardant de haut le petit évêque en dalmatique aux plis impeccables qui se dressait devant lui, le dos plus raide qu’un soc de charrue. Radbod approchait sans doute de l’âge de son père, songea Robert, mais son visage glabre et la couronne de cheveux ayant échappé à la tonsure, d’un blond très clair, lui conféraient un aspect juvénile qui contrastait fortement avec son autorité naturelle.

Un mouvement sur le lit attira l’attention des deux hommes. Entre les tentures sombres, pour le moment tirées tout autour de la couche à l’exception d’un entrebâillement, des doigts blêmes apparurent…

Le duc Richard, étendu entre les draps de lin brodés, levait péniblement sa main gauche, celle qui portait son anneau d’or. Le sceau ducal.

— Approche, fils.

Robert se jeta au pied du lit et écarta le lourd rideau jusqu’à apercevoir la face exsangue de son père. Un frisson le parcourut.

De Richard le Bon de Normandie, Deuxième du nom, auparavant une force de la nature de qui Robert avait d’ailleurs hérité sa carrure tout comme son caractère intrépide, ne subsistait guère plus qu’une ombre. Les orbites creuses, la peau livide et les cheveux collés aux tempes par les fièvres, l’être qui était allongé sur la couche ducale paraissait déjà en partance pour le Royaume de Dieu.

Robert déglutit avec difficulté.

— Robert, murmura le mourant, est-ce bien toi ?

— Oui, Père. Je suis venu aussi vite que j’ai pu.

— Toujours sur un cheval. N’est-ce pas, Robert ? Tout jeune, tu disparaissais des journées entières, à chasser ou à galoper dans la campagne…

Une quinte de toux interrompit le monologue ténu du duc.

Il n’avait pourtant pas atteint la vieillesse, pour passer de vie à trépas ! Seulement, nul ne pouvait se vanter d’être à l’abri des affections, parfois étranges, parfois virulentes et souvent mortelles, qui empoisonnaient l’air par de nocives pestilences. Que la cause en soit les influences des astres ou bien un châtiment céleste, nul n’échappait à la main de Dieu.

Pas même un duc.

Pas même mon père, songea Robert en luttant contre la boule qui s’était formée dans sa gorge.

— Reposez-vous, lui conseilla-t-il à voix basse. Nous pourrons parler demain.

— Nenni ! Dieu seul sait combien de temps il me reste en ce monde… Je dois vous parler, à tous les deux. Où est ton frère ?

À la mention de son aîné, Robert durcit à la fois ses poings et son cœur.

— Richard n’est pas arrivé.

— Nous devons l’attendre, en ce cas. Radbod ! Vérifiez que le messager a bien prévenu mon fils.

« Son fils » ; comme s’il n’en avait qu’un.

Robert s’obligea à ne pas relever. Cela ne serait qu’une blessure de plus dans le secret de son âme, nul n’en saurait rien. C’était là l’avantage lié à son malheur… Nul ne se souciait jamais du second fils d’un duc.

Il avait l’habitude d’être oublié par la plupart des membres de la cour ducale, voire dédaigné par certains des plus diligents seigneurs de l’entourage de son père.

Un cadet ne représente rien.

Robert regarda Radbod s’incliner, sa tonsure frôlant les draps froissés. L’évêque se précipita ensuite vers la porte où le jeune page, toujours à son poste, lui libéra le passage en se courbant si bas qu’il se jeta presque au sol.

Le bord de la dalmatique de Radbod fouetta l’air ainsi que les chaussures du page, puis Robert resta seul avec le mourant.

— Richard, articula celui-ci en s’agitant sur l’oreiller. Richard doit venir !

— Il viendra, Père. Il viendra pour vous.

Robert n’en croyait pas un mot.

Ils pouvaient toujours s’agiter en tous sens, tous ensemble… Son frère Richard était probablement en train de banqueter chez l’un de ses amis, ou bien de danser une estampie6 au son des vièles et des psaltérions.

Rien d’autre ne l’intéressait. Richard ressemblait à un prince : beau, distingué, charmeur, et jamais à court d’un bon mot ou d’un compliment bien tourné. Un prince, admiré de tous mais étranger au métier des armes.

Et à présent, il n’allait pas tarder à devenir le nouveau duc de Normandie, selon toute vraisemblance.

Foutredieu, ce coquebert7 nous mènera tous à la ruine en deux lunaisons !

C’était une évidence. Richard était un noceur, sans cesse en quête d’amusements et de plaisirs. Soucieux de plaire au plus grand nombre. Jamais il ne prenait en compte le bien de la Normandie, l’importance de la lignée, ou la justice qu’il convenait de rendre. Quant à guerroyer, il n’y fallait nullement songer ! C’était bien simple, Richard ne possédait aucune des qualités de leur père… Robert, en revanche, se considérait comme un bien meilleur candidat à l’exercice du pouvoir ducal.

Seulement, il était le cadet.

Le second.

L’éternel insignifiant.

Le bagarreur, le prosaïque, celui qui préférait la violence de la réalité brute aux vains divertissements ou aux rêveries insensées. Le gaillard qui aimait mieux son cheval que les galantes badineries. Robert avait toujours vécu avec la certitude qu’il aurait fait un aussi grand duc que son père… Mais que nul ne le saurait jamais.

Pourquoi a-t-il fallu qu’il jaillisse en premier des entrailles de notre mère ? Pourquoi lui, et non moi ?

Il se releva, s’approcha du coffre sur lequel on avait déposé une magnifique aiguière en verre et un hanap8 de bronze doré. Il versa un peu d’eau dans la coupe, puis la tendit à son père.

— Buvez. Cela vous fera du bien.

— Où est Richard ? Il doit venir. Il le doit.

Robert n’eut guère le temps de pester davantage contre son frère : des éclats de voix traversèrent la porte de la chambre.

Richard était donc venu, finalement.

Enfin, le panneau de bois s’ouvrit sur le demi-sourire narquois que Richard se plaisait à afficher en toutes circonstances. Celui qui lui valait l’amitié des seigneurs et les faveurs des dames.

Le duc trouva, par miracle, la force de se redresser un peu contre l’oreiller.

— Mon fils… Approche. Viens plus près.

Richard claqua la porte au nez de sa suite sans état d’âme, puis s’avança dans la pièce de son pas souple, un rien nonchalant. Bien entendu, il s’abstint de jeter le moindre regard à Robert.

— Je suis prêt, Père. Me voilà, digne et honorable, ainsi qu’il sied à un fils devant son parent, tout prêt à endosser mes responsabilités d’héritier du duché.

— Tu as bien hâte de me loger en bière9, protesta le duc, à moitié ironique.

— Que nenni, Père ! Loin de moi une telle pensée… J’ai simplement présumé que…

— Ne te fatigue pas, fils, je ne suis pas fâché. Ce n’était point une maladresse mais de la pure lucidité et un duc doit être lucide. Approche, maintenant !

D’un geste élégant savamment travaillé, l’aîné du duc rejeta en arrière le pan de son long mantel10 et ploya le genou devant le lit.

Robert ne put retenir une grimace de dégoût. Ce paon trouvait le moyen de parader même ici, dans la chambre de leur père moribond !

Que Dieu lui pardonne, il haïssait son frère… Toutes ses résolutions, toutes ses prières durant les dernières années n’y avaient rien changé. Cependant, Robert respectait le droit de naissance de Richard et ravala son aigreur.

Il observa son frère échanger des paroles légères avec le duc, puis des serments de loyauté et de piété filiale fort à propos.

Un peu moins grand que lui, moins puissant, mais diantrement plus raffiné, Richard paraissait aussi bien plus serein.

Sa chevelure claire, dont il entretenait soigneusement les reflets blonds, faisait passer les mèches sombres de Robert pour quelconques. La nouvelle vague de coquetterie seigneuriale, venue du septentrion, se voulait un retour aux crinières des rois anciens, de Clovis jusqu’à Charles le Grand11. Robert, tout comme leur père le duc, portait le cheveu court et la nuque rasée, dans un but uniquement pratique : au combat, cela évitait de les emprisonner fâcheusement dans la cotte de mailles.

Sous son mantel maintenu sur l’épaule par un fermail émaillé, Richard portait une splendide tunique vert émeraude brodée au fil d’or, vierge de toute tâche ou de tout accroc. Sans doute un vêtement neuf, confectionné à grands frais pour séduire une belle. Encore un… À côté de lui, Robert se sentit bien misérable dans sa vieille cotte de cuir.

Au-delà de leurs divergences capillaires et vestimentaires, les deux frères se ressemblaient beaucoup. Si l’on voyait Richard seul, on le trouvait bel homme ; si l’on voyait les deux frères ensemble, en revanche, Robert attirait l’œil en raison de son envergure plus impressionnante, et surtout de la prestance qui émanait de tous ses gestes. Il le savait. Ses mouvements, sa démarche, pour être moins gracieux, possédaient toutefois cette détermination tranquille d’un meneur d’hommes.

Il salua son frère d’un bref hochement de tête, qui lui fut rendu avec réticence. Alors, le duc tendit ses deux mains.

— Fils, approchez tous deux. Écoutez à présent quelles sont mes volontés, pour le lendemain de mon trépas.

L’entrevue fut brève.

Le duc Richard usait ses dernières forces, et ne put bientôt produire plus qu’un murmure fatigué entrecoupé d’une toux rauque. Ses gestes se limitèrent à un signe de croix dans l’air épais de la chambre, qui s’assombrissait rapidement avec le coucher du soleil, et à un étrange don qui prit Robert au dépourvu…

— Votre Bible ? Je ne peux pas accepter, Père !

Près de lui, Robert sentit son frère tressaillir. Il ne dit pourtant mot, ruminant sans doute cet affront avec l’objectif de tourmenter plus tard son cadet pour qu’il lui offre cet ultime présent paternel.

Robert soupesa le livre, plus lourd qu’un coffret de pierreries, à la reliure de fine peau d’agneau incrustée de gemmes. Des saphirs d’un bleu profond, des émeraudes à l’éclat vif, des rubis rouge sang.

La Bible du roi.

— C’est le présent que vous fit le monarque de Francie12, souffla Robert en caressant la reliure d’une main craintive. Un cadeau destiné au duc de Normandie : il revient donc au futur duc.

Il n’était pas question qu’il dépossède son frère de l’un de ses biens. Il était l’aîné, selon la volonté de Dieu.

— C’est Robert13 qui m’en a fait don, murmura le duc. Ce livre saint provient de l’île d’Hibernia14, copié et enluminé par des moines voici plus d’un siècle de cela… Tu portes son nom. Son présent t’appartient, dorénavant, en souvenir de moi.

— Je connais l’histoire de cette Bible, et c’est la raison pour laquelle je ne peux accepter.

— Tu accepteras, car je l’ordonne.

Robert baissa la tête. Tous obéissaient sans trêve à ce ton sans appel, où perçait toute l’autorité du duc.

— Bien, Père. Grand merci.

Seigneur, j’implore pardon : je n’ai pas souhaité voler mon frère, je me contente de suivre les directives de notre père et suzerain.

— C’est bien. Puisse ce livre saint… fortifier ton cœur et guider ta raison, si Dieu le veut.

Robert resserra sa prise sur le riche et pesant cadeau du roi de Francie, qui allait, sans nul doute, sonner le glas des maigres relations fraternelles qu’il avait pu établir avec Richard.

Lorsque les deux frères quittèrent la chambre, laissant la place à Radbod qui veillerait sur le sommeil du mourant en priant pour le salut de son âme, l’un serait bientôt duc, et l’autre vicomte d’Exmes. Richard installerait sa cour à Fécamp et y passerait la majorité de l’année, tandis que Robert partirait vivre à Falaise15.

Cette pensée réchauffait le cœur meurtri de Robert, et apaisait quelque peu son chagrin.

Il avait toujours apprécié cette place-forte, sise sur un éperon rocheux dominant un riche bourg entouré de terres cultivées et de forêts giboyeuses. Son père l’avait même consulté, quelques années plus tôt, au sujet des travaux qu’il y avait entrepris. Les nouveautés les plus remarquables consistaient en une enceinte maçonnée pour protéger la basse-cour, et un grand donjon de pierres. Entièrement construit en solide et onéreuse pierre normande.

Le don de la Bible, cependant, ne tarda pas à provoquer la fureur de Richard.

— Ce livre devrait me revenir, ainsi que tu l’as justement fait remarquer, mon frère. Nous avons tous deux constaté l’état de notre père, hélas… Le malheureux a perdu la raison à l’approche de la mort.

— Je ne la donnerai point, Richard. Loin de moi l’idée de te nuire : j’obéis simplement à l’ordre de Père.

— Comme d’habitude, n’est-ce pas ? Le bon Robert, sauvage, épris de liberté, mais toujours si obéissant…

— Richard, prends garde.

— Toi, prends garde ! J’espère que tu feras montre de la même loyauté envers ton futur duc, surtout lorsqu’il te priera de lui céder cet inestimable présent du roi de Francie.

Plutôt rôtir en Enfer.

— Cette Bible sera bientôt tout ce qui me restera de notre père, rétorqua Robert. J’y tiens plus qu’à tout.

Richard posa une main sur son bras, plongea ses yeux dans les siens. Robert évita son regard. Tout ce qu’il désirait, à ce moment, était de trouver un refuge dans la solitude de sa chambre…

— Tu ne devrais pas me provoquer, siffla Richard. Pas alors que je serai bientôt duc, et ton suzerain par la même occasion. Du reste, si tu refuses de me le rendre, qu’il en soit ainsi ! Tu peux bien garder ce vieux livre poussiéreux. Mais, à la place, je prendrai Falaise.

Robert sentit le sang se retirer de ses joues.

— Que dis-tu ? Falaise est le siège du vicomte d’Hiémois… Moi, en l’occurrence. Tu ne possèdes pas le pouvoir de me l’ôter.

— Si fait, mon cher. Un duc en a le pouvoir.

— Tu ne l’es pas encore ! s’irrita Robert, envahi de colère.

— Je le serai bientôt, tu le sais fort bien. Tu as voulu me provoquer, avec cette Bible, alors je te retirerai une chose à laquelle tu tiens davantage. Avant la Saint-Michel16, Falaise m’appartiendra !

— Que diable en ferais-tu ? C’est une place-forte. Tu ignores même par quel côté se tient une épée.

Les lèvres de Richard se retroussèrent en un sourire mauvais. À cet instant, toute sa prestance s’était évaporée pour laisser deviner les ténèbres de son âme.

— Oui, c’est une place-forte. Bien située, bien défendue. Une véritable résidence de duc, non de vicomte. Je vais en faire ma résidence principale… Après les travaux.

Enfin, il se détourna et traversa l’antichambre d’un pas lent.

— Je vais avoir beaucoup à faire, mais cela ne m’effraie pas. J’ai hâte de démolir cette prétentieuse tour de pierre.

Il partit sans se retourner.

Robert, immobile dans la lueur mourante des chandelles consumées, demeura silencieux. Consterné. Comment avait-il pu perdre Falaise aussi sottement ? Pour une querelle dictée par la jalousie entre frères ?

Père m’a donné ce castel, et Père n’est pas encore trépassé… Je peux encore me battre pour le garder.

Le sang martelait ses tempes mais, déjà, une stratégie se faisait jour dans son esprit. Il se sentait aussi fébrile qu’avant une bataille.

Mais s’il y avait combat à mener, pour l’instant, Robert préféra prier avec ferveur.

Seigneur Dieu, indiquez-moi la voie à suivre.

Soudain, l’évidence lui apparut. Les paroles de son père résonnèrent à nouveau à ses oreilles. Il avait tenté de lui transmettre un message ; Robert en saisissait toutes les implications, à présent.

« Puisse ce livre saint fortifier ton cœur et guider ta raison, si Dieu le veut. »

Alors, Robert comprit qu’il devait accomplir ce qu’il estimait juste. Comme lutter pour conserver cette précieuse Bible léguée par son père ; comme lutter pour garder Falaise, le projet commun qu’il avait nourri avec son père. Comme lutter pour écarter Richard du pouvoir, avant qu’il ne nuise à la politique menée par leur père depuis des années…

Pour se défendre de sa cupidité.

Pour le bien du duché.

Pour la mémoire de son père, dont, il en avait soudain la certitude, telle était la dernière volonté.

1Terme médiéval pour « château ».

2Guillaume Longue-Épée est le fils de Rollon, le premier yarl des Normands puisque le duché de Normandie n’existait pas encore. Guillaume portait, lui aussi, le titre de yarl des Normands, hérité de ses origines vikings.

3Richard II de Normandie, petit-fils de Guillaume Longue-Épée.

4Tabouret aux pieds en croix, parfois pliant, hérité de la Rome antique où il symbolisait un pouvoir judiciaire. Le siège curule fut très usité à travers les époques mérovingiennes, carolingiennes, et durant le Haut Moyen-Âge.

5Jusqu’au XIIème siècle, malgré les ordonnances de l’Église, les religieux sont souvent vêtus presque comme des laïcs : ils portent les mêmes coupes de vêtements, les mêmes étoffes, les mêmes teintures… Il faudra que l’Église développe une législation, au XIIème siècle, pour interdire les couleurs voyantes et la richesse de l’habillement de ses hauts dignitaires. Par conséquent, la sobriété de l’évêque Radbod est ici source d’étonnement.

6Danse médiévale attestée à partir du XIIe siècle, mais probablement plus ancienne. Le principe était de battre du pied pendant la musique. Cette danse, plus raffinée que les rondes populaires, se pratiquait alors au sein des classes aisées.

7Désigne un nigaud, une personne stupide.

8Récipient à boire médiéval, en métal, généralement réservé aux classes supérieures. Suivant sa contenance, il pouvait posséder des anses, un couvercle et même un bec verseur.

9La bière est l’ancien nom du cercueil.

10Manteau.

11Les Mérovingiens et Carolingiens, qui portaient les cheveux longs en signe de leur pouvoir. Contrairement au mythe romantique de l’empereur « à la barbe fleurie », Charlemagne portait les cheveux courts et le menton glabre, tel un empereur romain.

12 Ancien nom de la France, à partir du Xème siècle.

13 Robert II le Pieux, roi de France de 996 à 1031, qui fut un allié de Richard II de Normandie.

14 L’Irlande.

15 Capitale politique, administrative et militaire de la vicomté d’Hiémois, qui deviendra par la suite la capitale du duché de Normandie.

16La grande foire de la Saint-Michel, qui rythmait la vie agricole et sociale au Moyen-Âge, se tenait le 29 septembre. Elle revêtait une importance particulière en Normandie, car Saint Michel est le patron des Normands.